Dernier jour 7h00

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Agence France-Presse, 7h00. Départ d'Exodus confirmé par l'Agence Spatiale Internationale. Comme prévu, ce matin à 5h56 GMT le vaisseau interstellaire géant a quitté l'orbite qu'il occupait depuis le début de sa construction il y a bientôt dix ans ! La mise à feu des propulseurs à faible régime, peu spectaculaire, a été décrite par l'ASI comme « nominale ». Le périple d'Exodus va commencer ce soir par un passage à proximité de la Terre où incidemment les derniers passagers seront embarqués, avant la montée en puissance progressive demain et un plongeon vers le soleil afin d'aller chercher de l'autre côté du système solaire un effet de fronde autour de Jupiter. Cette manœuvre est décrite par l'ASI comme un « coup de pouce à la vitesse en même temps qu'un brouillage des cartes ». En effet, la trajectoire d'Exodus au-delà de la planète géante est éminemment secrète, pour des raisons que l'on comprend bien.

Depuis l'Élysée, la Présidente de la République, visiblement très émue, a déclaré : « C'est un moment unique pour l'Humanité, sûrement l'évènement le plus important du vingt et unième siècle. Oui, pour la première fois un vaisseau quitte le système solaire avec des enfants, des femmes et des hommes à son bord, une véritable ville miniature, autonome et durable, pour un voyage sans retour vers d'autres mondes qui orbitent autour d'autres étoiles. Nous pouvons être fiers, immensément fiers, de ce jour, car tous à notre façon, nous avons contribué à cette extraordinaire aventure. Et c'est une autre caractéristique unique de ce projet phénoménal : il a été réalisé grâce à la collaboration internationale la plus universelle et la plus unanime, chose que l'humanité n'avait jamais connue auparavant. »

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La mère de Michael était en train de regarder une émission sur le départ de l'immense vaisseau intersidéral. Habituellement, elle ne regardait pas du tout ce type de programme d'information, mais du fait de l'importance tout à fait colossale de l'évènement, elle avait ressenti le besoin de se tenir au courant. Cependant, lorsque le programme commença à décrire le vaisseau à grand renfort de détails techniques chiffrés en millier de tonnes et en hectares, elle renonça pour passer à un reportage sur les fêtes qui avaient saluées ce départ. À Paris, une foule estimée à trois millions de partisans s'était rassemblée sur les Champs Élysées et les bords de la Seine entre le pied de la tour Eiffel et la grande bibliothèque. Ils avaient entretenu d'innombrables petites lampes toute la nuit avant de saluer à l'aube la nouvelle du départ par une immense clameur de joie, des danses et des chants. En marge de cette manifestation bon enfant, de très violentes échauffourées avaient vu s'affronter des casseurs et les forces de l'ordre, pourtant présentes en masse. Un journaliste interviewait une adolescente blessée par des éclats de vitrine...

On sonna à sa porte. Intriguée, elle alla ouvrir. Dès qu'elle vit les uniformes, elle eut l'intuition qu'il s'agissait d'une visite des forces de l'ordre dont l'origine était une frasque de son fils. Elle était aussi impuissante que désespérée par la récurrence des incartades de Michael. Pourtant, cette fois-ci, en ouvrant de grands yeux face à l'équipe ruisselante qu'elle trouva devant sa porte, elle se demanda si Michael n'était pas passé à la vitesse supérieure, pour le pire. En effet, derrière l'homme en uniforme qui lui faisait face, elle découvrit un autre policier, protégé par un monstrueux gilet pare-balles sous un poncho transparent, et armé d'un fusil à pompe. L'officier vérifia poliment qu'il était à la bonne adresse avant de se présenter et de lui annoncer :

— Nous sommes venus procéder à l'arrestation de votre fils, Michael.

Il marqua d'un pas son intention de franchir le seuil et elle s'interposa franchement, refermant la porte à moitié.

— Pardon ? Pour quelle raison ? répondit-elle en tremblant.

L'homme soupira.

— Votre fils est sous le coup de quatre chefs d'accusation. On peut résumer le plus sérieux en une phrase : il est accusé d'avoir perpétré une intrusion informatique hautement illégale sur un site protégé par des directives antiterroristes. On m'a fait savoir que le dossier était accablant.

— Comment cela : on vous a fait savoir ?

— Le dossier est couvert par les clauses de confidentialités extrêmes, conformément aux directives antiterroristes.

— Vous voulez dire que vous venez arrêter mon fils chez moi sans pouvoir me dire ce qu'il a fait ?

— Madame, j'essaie de procéder avec tact et politesse, cependant, aucune de vos objections n'est recevable. Je suis en possession de tous les documents nécessaires, y compris les mandats de perquisition, et cætera.

— Je veux appeler notre avocat.

— Je ne suis pas tenu d'attendre qu'il soit présent pour procéder. Je vous prie donc instamment de nous laisser entrer.

Il avait prononcé sa dernière phrase d'une façon qui ne laissait place à aucun doute : il était prêt à le faire de force. Elle les laissa passer, atterrée. L'homme en arme resta à la porte et l'autre se mit à parcourir la maison. La console portable qu'il portait à sa ceinture émit un bip strident. « IA ! Saloperie ! » fit-il dans sa barbe. Il se saisit vivement d'un gadget qu'il avait en bandoulière. Il tira d'un geste brusque sur une espèce de petite goupille et le gadget répondit en bipant à son tour. Le policier fit un petit sourire méchant. Au poignet de la mère de Michael, le téléphone émit un couinement plaintif, le bio-moniteur autour de son cou produisit une petite vibration d'alarme. La musique qui émanait en sourdine du salon se tut. Les écrans des tableaux au mur s'éteignirent. Tandis que le policier reprenait sa fouille, elle jeta un œil à son téléphone : réseau perdu. L'homme laissait des traces d'eau sale partout. Elle le regarda faire avec stupeur en le suivant. Avant d'escalader l'escalier vers l'étage où se trouvait l'antre de Michael, il demanda :

— Il est là-haut ?

Elle haussa les épaules. Alors qu'il gravissait les premières marches, elle s'élança pour le suivre.